Réduire l’empreinte carbone à l’hôpital, quelles actions pour les gaz médicaux ?
Published on Mars 20, 2025
10 minutes

La dimension environnementale devient déterminante dans tous les secteurs économiques et le secteur de la santé n’y échappe pas. Depuis le début des années 2000, les hôpitaux et autres établissements de soins s’intéressent à leur empreinte carbone et formulent des propositions d’actions pour la réduire. Une démarche essentielle pour mettre en œuvre une santé durable1.
Quelle est l'empreinte carbone à l'hôpital ?
Comment réduire l'empreinte carbone des gaz médicaux :
Quelle est l’empreinte carbone à l’hôpital ?
L’hôpital a commencé à s’interroger sur son bilan carbone depuis environ deux décennies. Avant d’envisager des actions environnementales, il fallait déjà connaître les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur de la santé, et plus particulièrement des établissements de soins. Désormais chaque hôpital doit calculer son bilan carbone et tout mettre en œuvre pour l’améliorer1.
Chiffres clés sur l’empreinte carbone des hôpitaux (rapport Shift)
Le Shift Project s’attache depuis 2020 à évaluer l’empreinte carbone du secteur de la santé en France. Même si les chiffres restent empreints d’incertitude (évaluée à environ 20 %), le rapport publié en 2023 indique que les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé représentent entre 40 et 61 millions de tonnes en équivalents dioxyde de carbone (MtCO2e), soit entre 6.6 et 10 % de l’empreinte carbone totale de la France1.
Au sein de cette empreinte carbone, les établissements hospitaliers (hôpitaux publics et privés, cliniques) représentent le plus important pourvoyeur de gaz à effet de serre, avec 38 % de l’empreinte carbone du secteur de la santé.
- Viennent ensuite successivement la médecine de ville,
- les établissements et services pour personnes âgées,
- les établissements et services pour enfants et adultes handicapés,
- puis les administrations et complémentaires santé1.
Les gaz médicaux dans l’empreinte carbone de l’hôpital
Les émissions directes liées à l’utilisation des gaz médicaux ne représentent qu’une toute petite partie de l’empreinte carbone du secteur de la santé. Dans les calculs, ils sont intégrés aux émissions dites « fugitives », qui comprennent les gaz frigorigènes (0.5 MtCO2), les inhalateurs (0.3 MtCO2e) et les gaz médicaux (0.3 MtCO2e). L’ensemble des émissions fugitives représentent seulement 2% de l’empreinte carbone totale de la santé en France. En revanche, les gaz médicaux sont beaucoup plus impactants lorsqu’on s’intéresse à leur production et à leur transport, c'est-à-dire ; à leurs émissions indirectes(1).
La prise de conscience d’une nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’hôpital
En France, la transition vers une économie plus durable s’inscrit dans le Plan de Transformation de l’économie française (PTEF), qui a pour mission de proposer des solutions concrètes pour décarboner tous les secteurs économiques du pays, y compris celui de la santé. L’objectif est de réduire de 5 % par an les émissions de gaz à effet de serre. Au-delà de l’importance de la décarbonation du secteur de la santé en termes environnementaux, il est évident pour les experts que la santé doit montrer l’exemple. La santé doit désormais prendre en compte les enjeux sanitaires, mais aussi environnementaux, pour devenir plus durable1.
L’hôpital vers une transition énergétique et écologique
Contraint de calculer et de justifier son bilan carbone, l’hôpital s’inscrit désormais dans une démarche de transition énergétique et écologique.
Quelle politique de transition écologique pour l’hôpital ?
Tous les postes d’émissions de gaz à effet de serre sont ciblés par les experts du rapport Shift, publié en 2023 : les achats, les médicaments et les dispositifs médicaux, l’alimentation, les bâtiments, les déplacements, les gaz médicaux, les déchets, etc. Des actions sont formulées pour chaque aspect de la santé, et chaque action doit permettre – à son niveau - de réduire l’impact environnemental de la santé1.
Des achats aux déchets, en passant par le fonctionnement, toute la vie de l’hôpital est repensée avec un angle environnemental et durable. Cette évolution des procédés passe également par l’application de critères environnementaux dans le choix des fournisseurs et des prestataires, notamment de gaz médicaux1.
Des acteurs clés
Vous connaissez la RSE*, la Responsabilité sociétale des Entreprises ?
Peut-être avez-vous d’ailleurs un service dédié dans votre structure. Au fil des années, les entreprises ont adopté des démarches qualité, des démarches environnementales et des démarches sociétales, que l’on regroupe aujourd’hui dans le concept de RSE. Un concept inscrit depuis peu dans la Loi française. Des postes dédiés de responsables RSE ou responsables développement durable ont été créés dans les établissements de santé.
Ces professionnels jouent un rôle clé dans la prise de conscience de l’empreinte carbone des hôpitaux et dans les initiatives à mettre en place pour la réduire2. Pour renforcer la transition de l’hôpital, le ministère de la solidarité et de la santé a annoncé en octobre 2021 la création de nouveaux postes, les Conseillers en Transition Energétique et Ecologique en Santé (CTEES).
Un total de 150 postes ont été financés par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) et la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA). Ces conseillers viendront en appui des responsables RSE pour accompagner les quelque 5000 établissements sanitaires et médico-sociaux dans leurs actions en faveur de la réduction du bilan carbone3.
La nécessaire formation des personnels à la santé environnementale
La volonté politique de transformer l’économie de santé pour développer une santé plus durable implique nécessairement d’informer, de sensibiliser et de former l’ensemble des professionnels du système de santé aux enjeux environnementaux. Tous les professionnels sont concernés, dont les professionnels de santé, mais aussi les personnels administratifs et techniques. L’ensemble de ces personnels doit être sensibilisé et formé à :
- L’urgence climatique
- La transition bas-carbone
- L’écoconception des soins*1,3
Former permet de mobiliser et d’impliquer les professionnels sur la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Actuellement, 75 % des étudiants en santé ne reçoivent aucune formation sur les enjeux climatiques ou environnementaux au cours de leur cursus, alors que 84 % d’entre eux estiment qu’ils devraient être formés à ces questions3.
Comment réduire l’empreinte carbone des gaz médicaux ?
Quelles sont les actions proposées ?
Sur l’ensemble des actions envisagées pour réduire l’empreinte carbone de l’hôpital, certaines concernent directement les gaz médicaux. Dans le rapport Shift publié en 2023, les experts formulent deux propositions qui pourraient permettre de réduire de 75 % les émissions de gaz à effet de serre des gaz médicaux, soit une économie de 0,4 MtCO2e :
- Interdire les gaz anesthésiants à fort effet de serre
- Systématiser l’utilisation d’inhalateurs* à faible impact environnemental, comme les inhalateurs de poudre sèche1.
Certains laboratoires se sont déjà mis en ordre en marche, avec le développement d’inhalateurs bas-carbone2.
Les recommandations de la SFAR sur le N2O
Par ailleurs, la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation) s’est positionnée en 2024 pour une réduction de l’utilisation du N2O (protoxyde d’azote) et l’arrêt de l’installation de réseaux de N2O dans les blocs opératoires.
Actuellement, les centaines de réseaux de N2O encore actifs ont une émission estimée de plus de 100 000 tonnes d’équivalents CO2 par an. Un arrêt de l'approvisionnement de ces réseaux permettrait de réduire immédiatement de plus de 80 % les émissions liées, sans modification de la pratique des professionnels de santé. Il existe en effet une alternative disponible : les bouteilles de N2O4.
La réduction des rejets des gaz anesthésiants dans l’atmosphère
La réduction des rejets de gaz anesthésiant figure parmi les leviers pour réduire l’impact environnemental des gaz médicaux1. Voyons ici les moyens associés.
Limiter l’usage des gaz anesthésiants est-il la meilleure solution pour la planète ? Pour les patients ?
Tous les gaz anesthésiants n’ont pas le même impact écologique. Certains gaz anesthésiants sont eux-mêmes des gaz à effet de serre et contribuent directement au réchauffement climatique, en raison de leur fort potentiel de réchauffement global1.
Le desflurane présente un potentiel de réchauffement global dix fois supérieur à d’autres gaz anesthésiants, comme le sévoflurane.
Et dans les pays ?
L’Irlande a d’ores et déjà choisi d’interdire l’usage du desflurane dans les blocs opératoires. En France, plusieurs établissements de santé sont parvenus ces dernières années à réduire l’usage des gaz anesthésiants fortement émetteurs, sans affecter la qualité des soins pour les patients. A terme, le rapport Shift recommande de remplacer le desflurane et l’isoflurane par du sévoflurane1,3.
Limiter les pertes de gaz dès l’inhalation
Privilégier les gaz médicaux moins émetteurs n’est possible que lorsqu’il existe des alternatives. Une autre solution existe : limiter les rejets des gaz inhalés dans l’atmosphère en :
- Réduisant le débit de gaz frais pour atteindre le débit le plus faible possible et toujours inférieur à 500 ml si le respirateur le permet ;
- Limitant le gaspillage, en s’assurant de l’utilisation maximale du contenu des bouteilles ;
- Utilisant des masques ne délivrant du gaz qu’au moment de l’inspiration du patient ;
- Arrêtant l’utilisation du protoxyde d’azote en réseau pour un passage en petites bouteilles4.
Ces solutions pourraient minimiser les émissions de gaz à effet de serre des gaz anesthésiants, sans impact sur le patient1,3.
Récupérer et recycler le gaz non inhalé
Une autre option consiste à récupérer et à recycler le gaz non inhalé par le patient. Actuellement, le volume de gaz non inhalé par le patient est aspiré en dehors du bloc opératoire par le système de ventilation et d’aspiration, avant d’être rejeté directement dans l’atmosphère.
Demain, il faudrait pouvoir récupérer sélectivement ce gaz. Des innovations technologiques (systèmes de recapture et destruction des gaz) sont en cours de développement dans le monde, mais ne sont pour l’instant pas disponibles en France3. En Suède, un système de capture et de destruction du protoxyde d’azote est déjà déployé1.
Une nouvelle ère
Le monde de la santé et l’hôpital sont entrés dans l’ère de la transition environnementale. L’objectif est clair : réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines années. De nombreuses actions sont possibles à tous les niveaux et doivent mobiliser l’ensemble des acteurs du système de soins. Des patients jusqu’aux professionnels de santé, avec l’appui des responsables RSE et des CTEES. Certaines de ces actions s’adressent directement aux gaz médicaux et certaines sont déjà en cours de développement.
L’objectif est de réduire l’empreinte carbone de l’hôpital, sans altérer la qualité et la sécurité des soins pour les patients.
FAQ
Qu’est-ce que la RSE ?
La RSE pour Responsabilité Sociétale ou Sociale des Entreprises a pour objectif de concilier les performances économiques, sociales et environnementales des entreprises. Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille et leur secteur d’activité, sont concernées. En pratique, la RSE s’attache à mettre en place et à améliorer l’activité économique de l'entreprise tout en prenant en compte l’aspect social - par exemple promouvoir l’égalité hommes - femmes - et l’aspect environnemental - notamment réduire l’empreinte carbone.
L’éco-conception des soins, de quoi s’agit-il ?
L’écoconception des soins correspond à la réalisation de soins avec l’impact sanitaire, environnemental, économique et social le plus faible possible, à court, moyen et long terme. En pratique, cela revient à intégrer la RSE directement dans la définition même du soin. Cette démarche est portée dans les établissements de soins par les responsables RSE.
Un inhalateur à faible impact environnemental, c’est quoi ?
Les inhalateurs, sous forme d’aérosols-doseurs pressurisés, impliquent l’utilisation d’un gaz de propulsion pour administrer le médicament. Un gaz contributeur d’émissions de gaz à effet de serre. D’après le National Health Service du Royaume-Uni, ce type d’aérosol a une empreinte carbone équivalente à un trajet en voiture de 290 kms pour 200 doses. Les laboratoires pharmaceutiques développent des inhalateurs à faible impact environnemental, comme les inhalateurs de poudre sèche et les inhalateurs brumisateurs.
Émissions directes et émissions indirectes, quelles différences ?
Les émissions de gaz à effet de serre ou GES sont classifiées en 3 scopes distincts pour évaluer son bilan carbone. Les émissions directes (Scope 1) qui proviennent de l’entreprise elle-même. Les émissions indirectes liées à la production énergétique pour l’entreprise (Scope 2). Et, enfin viennent toutes les autres émissions indirectes (Scope 3).